DES FAVELAS, DU RÉEL
19 septembre 2022ESSAI DE NOMINATION
Auteur de l’article : Tristan Foulliaron
OCTOBRE 1997
TROIS NIVEAUX DE MALTRAITANCE ?
Ce texte ancien (1995) s’adressait aux travailleurs sociaux afin que ceux ci ne confondent pas les maltraitances et leurs pôles, niveaux. Il résumait plusieurs textes dans lesquels nous avions essayé de sensibiliser nos confrères psychologues psychiatres sur cette problématique. Il a été à l’époque violemment critiqué par l’ensemble des intervenants sociaux : Travailleurs sociaux, juges, administrateurs, psychiatres et psychologues qui ne supportaient pas ou minimisaient le réel, au nom de théories analytiques du trauma et du désir.
Malgré ses insuffisances, nous n’avons pas souhaité changer ce texte que nous avons défendu et à cause duquel on voulait nous exclure ! Nous ne pensions pas à l’époque que nos textes soulèveraient autant de bruit et de fureur dans des services qui objectivement s’occupaient d’enfant maltraité et les plaçaient.
TROIS NIVEAUX OU PÔLES DE MALTRAITANCE SUR L’ENFANT ?
La clinique des enfants pris en charge par l’Aide.Sociale à l’Enfance. , a nécessité que nous nous réinterrogions sur la maltraitance.
D’une manière générale, la maltraitance n’est pas analysée dans le champ de la psychopathologie en temps que telle. C’est une notion générique, au champ sémantique assez flou qui désigne des effets de type « mauvais traitement » sur des enfants.
Plus particulièrement dans le cadre de l’A.S.E. [1] c’est à des violences physiques, psychiques ou sexuelles de la part de membres de la famille auxquelles nous avons à faire.
Nous nous sommes aperçus que toutes les maltraitances ne sont pas équivalentes et ne provoquent pas les mêmes effets dans le présent et dans le futur de l’enfant.
Certaines maltraitances de type « passages à l’acte sexuel ou physique sur des enfants de sa propre famille » ont des conséquences très graves dans l’évolution psychologique de l’enfant et le mettent réellement en danger.
Pour éviter les risques de sous-estimation et de surévaluation, nous avons tenté une « réévaluation » des enjeux psychopathologiques de la maltraitance.
Nous avons, dans une première ébauche, pensé qu’il était nécessaire de classer les maltraitances en trois niveaux d’évaluation qui nous permettent de repérer les problématiques d’une maltraitance et donc de décider assez vite des modalités d’intervention.
Ces niveaux sont des repères, pas des dogmes, ils nécessiteront de profondes révisions afin d’être affinés par rapport aux symptômes de l’enfant. En les nommant Imaginaire, Symbolique et Réel, nous reprenons des concepts clés de la psychanalyse qui font aujourd’hui largement consensus.
PREMIER NIVEAU : LES MALTRAITANCES « IMAGINAIRES »
Chacun a l’image, la représentation de ce que doit, « devrait » être, une « bonne éducation », un « bon » enfant et considère que les autres n’élèvent pas leurs enfants comme « il faudrait ».
On en vient à croire que ceux-ci sont « maltraités ». Vérités en deçà des Pyrénées, erreurs au-delà !
Positions classiques du moi idéal et de l’idéal du moi, elles ressortent des transmissions éducatives familiales, d’idéaux, de préjugés ou tout simplement d’idéologies plus ou moins répressives ou laxistes.
En aucun cas, le fait de préférer telle ou telle manière d’éduquer ne peut être considéré comme un critère pour juger de maltraitance.
A ce niveau, il n’existe pas de maltraitance, mais de débats d’opinion teintés d’idéologies ou de principes religieux.
Il faut toutefois prendre garde qu’un « système éducatif » ne soit pas maltraitant comme les travaux d’Alice Miller l’ont démontré (éducation nazie ou extrémiste).
DEUXIEME NIVEAU : LES MALTRAITANCES « SYMBOLIQUES »
C’est le chapitre le plus connu de la maltraitance, celui que l’on trouve souvent traité dans les livres de psychopathologie : les enjeux symboliques de la maltraitance.
La maltraitance représentant les effets des difficultés des parents à s’inscrire dans leur triangulation oedipienne, et donc de s’assumer comme parents.
La maltraitance est ici symptôme au sens psychanalytique du terme : un compromis réel-symbolique.
L’enfant, par exemple ne peut désirer sans se référer aux désirs, aspirations de ses parents.
Il a, dés lors, très peu de possibilités de grandir hors de ses parents qui ne supportent guère ses velléités d’indépendance et souvent le répriment violemment.
Ces maltraitances marquent, blessent souvent l’enfant mais n’altèrent pas dans l’immense majorité des cas son intégrité psychique ou physique.
Parents souvent immatures, développant des mécanismes de défense très rigides ou très laxistes, parfois sans commune mesure avec l’état psychophysiologique et les besoins de l’enfant.
Ces parents maltraitants peuvent, dans la majorité des cas, être aidés et le demandent parfois. Ils peuvent entendre et sont souvent conscients de la maltraitance qu’ils font subir à leur enfant.
Dès lors une aide éducative, une psychothérapie peuvent soulager l’enfant et les parents.
Il existe aussi des maltraitances réactionnelles à des ruptures, décès, etc.…, qu’il faut entendre, sans pour autant en conclure hâtivement qu’il s’agit d’une maltraitance grave. Il ne faut pas confondre un symptôme, quel que soit son caractère spectaculaire, avec la structure d’un sujet ou d’un « tissu familial ».
Rappelons, qu’au niveau symbolique, l’enfant est « symptôme » des parents, de deux lignées, et qu’à ce titre l’enfant à advenir sujet, au travers de ses doubles héritages.
Il peut être, dés lors un « bon symptôme » même si certains des actes parentaux ou des siens peuvent apparaître maltraitants.
Il faut prendre garde à ne pas confondre un symptôme quel que soit son caractère spectaculaire ou grave avec la structure d’un sujet.
La vigilance est de mise et en aucun cas la « psychologisation de la maltraitance », ne doit faire oublier que l’enfant est réellement maltraité.
« Comprendre » les difficultés objectives ou subjectives de certains parents ne doit ni excuser ni surestimer la maltraitance.
Parfois, la « séparation » temporaire des enfants et des parents est nécessaire. Ces « séparations » ne doivent devenir ni une panacée ni une catastrophe mais « un temps » dans un processus de redéploiement des enjeux familiaux.
Avant tout signalement, ces situations méritent pour être évaluées une interdisciplinarité très active et lucide (analyser dans la mesure du possible le caractère interprétatif ou constructif des actes de l’intervention sociale).
TROISIEME NIVEAU : LA MALTRAITANCE « REELLE »
Il existe un troisième niveau de maltraitance dans lequel le sujet est concerné d’une manière vitale et ce quels que soient les moyens par lequel il est agressé (physique, sexuel, psychique).
Cette maltraitance grave agit dans le réel, touche et lèse les fonctions narcissiques et symboliques du sujet.
Il n’existe pas d’autre concept que celui du réel au sens psychanalytique du terme pour définir les caractéristiques de cette maltraitance. Le réel représente à la fois ce qui revient à la même place, ce à quoi on se heurte sans pouvoir le nommer et reste impossible à « lier » imaginairement ni à « inscrire » symboliquement.
C’est pourquoi le réel de la maltraitance grave produit des effets qui ne sont pas sans ressembler aux symptômes oedipiens mais résistent à toutes interprétations, ils seraient de l’ordre du « censuré », du « forclos » et non du refoulé.
Ces maltraitances nécessitent de découvrir les « logiques du silence » de l’enfant qui doit « survivre » dans une situation où son intégrité psychique, physique et sexuelle est en passe d’être anéantie.
Ces « logiques du silence » s’écrivent sur le corps, subvertissent les besoins fondamentaux, les attaches affectives, les lieux pulsionnels, les liens sociaux, les mécanismes cognitifs et intellectuels.
Toutes les instances du sujet sont en danger réel de mutilation, d’anéantissement et parfois de mort.
Nous devons dès lors et sans « états d’âme » intervenir, signaler afin d’éviter que ces maltraitances graves ne perdurent et désagrègent l’enfant en le plongeant dans les psychopathies ou les psychoses sinon dans le suicide ou l’accident grave provoqué.
Cela quel que soit « l’avis » de l’enfant qui a dû, pour survivre, s’anesthésier, banaliser le mal, se cliver sinon se morceler et déréaliser la réalité afin de supporter les maltraitances meurtrières qu’il subit.
L’inceste réel est le paradigme de ce troisième niveau de maltraitance. Dans l’inceste le principe généalogique est effacé, le corps, les places, sont confondus, la parole est écrasée, le sujet est ravagé à court ou à long terme.
La loi n’est pas transgressée, elle est annulée.
Classiquement, ce qui n’est pas « représenté » ni « symbolisé » pour un sujet revient dans le Réel, sous forme parfois de « passage à l’acte » sur soi ou sur les membres de la famille.
Aujourd’hui il est très facile de trouver des travaux sur les maltraitances, la sémiologie, les descriptions des effets sont en général assez bien repérées. Lorsqu’il s’agit de théoriser dans les champs de psychopathologie les maltraitances la confusion règne entre les concepts, théories psychiatriques et celles de la psychanalyse.
[1] Note : A.S.E. : Aide Sociale à l’Enfance